samedi 31 mai 2014

L'enlèvement des 223 lycéennes au Nigéria par Boko Haram: Visées communicationnelles d'un rapt fortement médiatisé




L’enlèvement de près de 300 jeunes filles lycéennes au Nigéria le 14 mai dernier à l’école de Chibok par la secte islamiste Boko Haram laisse présager  un retour en force  de certaines pratiques d’un islam  du type radical et discriminatoire auquel se réclament ces ravisseurs. Un acte éminemment terroriste qui a suscité une indignation internationale sans précédent et qui va donner une autre dimension au terrorisme. Cet enlèvement n’est, sans doute pas, la première et plus grande opération du genre jamais menée par Boko Haram où par ses alliés (Al Qaida, Aqmi , les Shebabs, le Mujao, Alnosra etc.) à travers le monde. Mais ce rapt revêt une certaine particularité : cette fois-ci ce sont uniquement des filles qui sont enlevées, de surcroit  apprenantes.
Cette particularité va-t-elle faire entrer de nouveaux acteurs(les mouvements féministes et autres organismes) dans la lutte contre le terrorisme ? Dans ce cas précis, quels rapports peut-on établir, dans un contexte africain notamment nigérian, entre l’approche genre  et les conventions relatives aux droits des femmes ? Si oui, comment cette corrélation et ces liens s’interpénètrent-ils ? Que signifie être femme au Nigéria ? Que pourraient tirer les terroristes, en termes de stratégies de communication et de visibilité, de cette sur médiatisation de cet enlèvement dont les médias du monde entier ont largement fait et continuent de faire échos ? Quelles enseignements à tirer pour les politiques, les décideurs à qui ce rapt pourrait être un message très fort de défiance envoyé à leur égard?
Voilà la problématique  que nous tenterons, dans les lignes qui suivent, d’examiner et d’analyser  au cours de notre réflexion et à partir de laquelle nous allons développer un argumentaire qui répondrait à tous ces questionnements.
En effet,  l’analyse de cette question terroriste d’actualité sous l’angle du genre exige qu’on aille au-delà des effets de mode d’autant plus que le genre aussi bien le terrorisme est un phénomène qui pénètre le cœur de notre existence, de notre vécu quotidien. Ainsi, l’on se demandera c’est quoi le genre ?
Le concept de genre ne renvoie pas à une seule définition. Ce qui  implique qu’il ya plusieurs tentatives de définition que renferme le concept.  Ainsi, pour la Convention européenne sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et la violence domestique, «  Le genre est un terme qui désigne les deux sexes, masculin et féminin, explique qu’il existe des rôles, des comportements, des activités et des attributs socialement construits, considérés comme étant appropriés pour les femmes et pour les hommes par une société donnée ».
 Si cette définition du Conseil européen met en exergue les rôles  et comportements construits par la société, l’historienne américaine Jane Scott, dans un article publié en 1986 ( Gender a Useful category of social analysis), propose une définition du genre mettant l’accent sur la dimension politique : «  Le genre est un élément constitutif des rapports sociaux, fondé sur les différences perçues entre les sexes, et le genre ; est une façon première de signifier des rapports de pouvoir ».
En parlant de ces  223 jeunes lycéennes dont on a enlevé de leur école, c’est une situation vraiment lamentable et  inacceptable. Nous assistons à une véritable privation  de ces filles de leur droit fondamental à l’éducation, d’aller à l’école, bref de réussir. Et cette situation ne reste  pas sans nous rappeler les actes inhumains et barbares  orchestrés par les talibans en 2001 en Afghanistan, lesquels actes consistaient à couper les mains des petites filles et qui interdisaient à celles-ci d’aller à l’école. Une discrimination sexiste injustement infligée à des personnes innocentes.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’instrumentalisation de la religion musulmane par ces groupes terroristes va de mal en pis. L’enlèvement de ces filles montre une nouvelle fois toute la capacité de nuisance de Boko Haram et de ses intentions de se lancer dans une guerre confessionnelle planétaire aux issues incertaines et fâcheuses. Selon l’Association Chrétienne du Nigéria, 90 % des jeunes filles enlevées étaient des chrétiennes.
Il apparaît donc de façon claire que Boko Haram veut installer un  nouveau Khalifat radical dans la sous-région Ouest africaine où les femmes seront traitées comme des êtres inférieurs, des biens possédés et qui seront régies par une loi dont eux seuls connaissent les tenants et les aboutissants.
Les violetions des droits de ces filles ne font aucun doute d’autant plus certaines informations parvenues à leurs parents font état qu’elles sont violées par leurs ravisseurs non sans parler de la brutalité et de la terreur avec lesquelles , le chef de la secte, Abubacar Shekau, chef de la secte islamiste Bokoharam a affirmé les avoir converti à islam et du coup, contraintes de porter des tchadors ou voiles intégraux.
Ainsi, l’extrémisme et le terrorisme religieux sont des atteintes à la dignité et à la valeur de la personne humaine et doivent être combattues. Le préambule de la charte des Nations-Unies mentionne expressément l’égalité de droits des hommes et des femmes. Quant à la conférence mondiale sur  les droits de l’homme, elle a solennellement réaffirmé  que « Les droits fondamentaux des femmes et des filles faisaient, intégralement et indissociablement partie des droits universels de la personne ». Il est donc essentiel pour la promotion de la femme que les femmes et les fillettes jouissent pleinement et sur un pied d’égalité de l’ensemble des droits fondamentaux  et des libertés premières. Parmi ces libertés premières, il y a sans doute l’éducation. Ce qui n’est malheureusement pas le cas avec ces filles enlevées et empêchées d’aller donc à l’école.
De son côté,  la déclaration des droits de l’enfant et la convention relative de l’enfant en son article 11 garantit le droit des enfants et consacre le principe selon lequel « Toute discrimination fondée sur le sexe est inacceptable ».
Le Nigéria, pays le plus peuplé de l’Afrique avec une population de 158 millions d’habitants, les femmes, selon  OFH, une ONG locale nigériane, font face à de nombreux facteurs religieux, sociaux et culturels qui les placent dans une position de subordination vis-à-vis des hommes. En guise d’exemple, l’ONG donne le taux scolarisation des hommes (61%) qui est nettement supérieur à celui des femmes (39%). Et pourtant,  Friends of Family, cette autre ONG évoluant dans le pays avait très attiré souligné que «  La promotion des droits de la femme est essentielle pour atteindre un développement durable ». Un avis qui s’inscrit en droite ligne avec l’approche et développement qui, non seulement vise l’autonomisation des femmes mais aussi le partage équitable des ressources et  des responsabilités entre les hommes et les femmes. Partant de ce principe, l’approche genre repose sur l’analyse et la remise en question des processus qui différencient et hiérarchisent  les individus en fonction de leurs sexes.
Par ailleurs, ce Kidnapping est  s’avère un acte bien planifié, préparé et ciblé par les terroristes. Il fait partie des stratégies  de communication employées visant à modifier les rapports de force et à envoyer un message fort à l’endroit des puissances occidentales résolument engagées dans une guerre sans merci contre le terrorisme. C’est d’ailleurs ce qu’a compris le professeur d’études islamiques contemporaines à l’Université d’oxford (Royaume-Uni) qui, après avoir condamné cet enlèvement dont l’objectif est d’atteindre des effets visibilité parle d’un acte visant à provoquer une indignation et psychose à grande échelle au sein l’opinion publique occidentale. C’est d’ailleurs ce qui a fait que les personnalités influentes , les mouvement féministes et  autres  stars de l’occident n’ont pas tardé à réagir  à ce rapt tout en se servant de leur notoriété pour apporter un soutien aux petites filles et tenter également d’influer  en vue de favoriser leur libération immédiate d’où les fameux slogans suivis de marches « Bring back our girls, bring back our sister » (Libérerz nos filles, libérez nos sœurs).
A la lumière de tout ce qui précède, on peut dire qu’il existe bel et bien des liens entre le genre et cet enlèvement même si ces rapports s’avèrent complexes. Enfin, il convient de souligner que derrière ce rapt, s’y cachent de nombreux enjeux  et stratégies de visibilité, de captation ainsi que des rapports de forces en jeux entre les belligérants.  Une chose est certaine : le terrorisme est un réseau transnational, il faut des solutions internationales pour vaincre ce mal planétaire grandissant à une vitesse stupéfiante. Pour cela, le Nigéria doit privilégier la coopération internationale et l’échange de renseignements pour espérer vaincre Boko Haram sur son territoire.

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